LES P'TITES HISTOIRES
Pour les Petits et Grands N'enfants ...

LES ENSEVELIS DE CHANCELADE (Extrait de la revue LA NATURE N° 653 du 5 décembre 1885)

La pierre de Chancelade garde en sa mémoire le meilleur comme le pire...

  Le meilleur, c'est son extrême pureté qui en a fait sa renommée du temps où elle servit à la construction de l'Abbaye et la chapelle Saint-Jean à Chancelade.
Sa blancheur et sa qualité l'a toujours emportée sur ses concurrentes voisines, les carrières de Périgueux (Saint-Georges et les Maurilloux), d'apparence gris bleuté.
L'architecte Abadie l'a employé pour la réparation des coupoles de la cathédrale Saint-Front, du style de celles de Sainte-Sophie de Constantinople.
Avec l'arrivée du chemin de fer au milieu du XIX ème siècle, la pierre de Chancelade s'exporta dans tout le Grand Sud-Ouest, l'Aveyron et le Puy-de-Dôme, pour bâtir des ouvrages d'art ferroviaire : maisons, ponts, viaducs, édifices publics, les gares de Valence d'Agen et Saint-Martin à Périgueux... Le Pont de Pierre de Bordeaux compte des piles en pierre de Chancelade.
En 1885, les carrières de pierre sont exploitées par les sociétés Himbert et Chaigneau et des champignonnières ont été installées dans une partie des anciennes exploitations.

L'exploitation du site souterrain est donc à son apogée quand un terrible drame va survenir : l'effondrement total de la carrière.

Chancelade - Vue des carrière avant la catastrophe

  Les carrières de Chancelade, dont l'écroulement subit a fait de nombreuses victimes et a eu dans toute la France un douloureux retentissement, sont situées à 7 kilomètres de Périgueux, dans la vallée de la Beauronne, tout près du chemin de fer de Périgueux à Paris. Elles étaient exploitées depuis un grand nombre d'années, des milliers de mètres cubes en ont été extraits et employés à divers usages.
La pierre de Chancelade, d'abord très tendre, durcit à l'air, et n'est pas gélive quant elle a perdu son eau de carrière.
La partie exploitée représente à peu près un segment de cercle dont le diamètre serait de 350 mètres et la flèche de 200 mètres. La surface fouillée est d'environ 5 hectares, et la hauteur des bancs de bonne qualité est de 5 à 6 mètres.
De nombreux piliers, ménagés assez irrégulièrement, soutenaient le plafond de la carrière. A un moment donné, tous ces piliers se sont écrasés pour ainsi dire instantanément, ensevelissant sous leurs débris plusieurs victimes; la montagne tout entière s'est affaissée, de nombreuses fissures se sont produites à sa surface et ont provoquées la chute ou l'ébranlement de toutes les constructions établies sur le coteau, et formant le petit hameau d'Empepeyraud bas.
En même temps, le front de la carrière, projeté en avant, s'éboulait à grand fracas, et ensevelissait sous ses débris plusieurs personnes qui suivaient le chemin dit de la Beauronne.

  Nous ne connaissons aucun exemple d'un écrasement aussi subit et aussi général. Il a fallu que les piliers aient supporté depuis longtemps une charge supérieure la leur limite d'élasticité; sans doute ils s'étaient lentement désagrégés, et l'ébranlement, produit par la chute du premier d'entre eux, aura déterminé la destruction complète de cette masse en partie désorganisée. Telle est, au point de vue purement matériel, la catastrophe de Chancelade.
II nous reste à en faire en quelque sorte l'historique, à décrire l'impression qu'elle a produite, et à faire connaître les efforts qui ont dû être faits pour sauver les victimes.

  Le dimanche 22 octobre 1885 dans l'après-midi, les personnes qui se trouvaient aux environs de Chancelade entendirent un grondement sourd et de peu de durée, ressemblant assez au bruit du tonnerre.
On vit en même temps sortir des ouvertures des carrières comme de la bouche d'un canon, un immense nuage de poussière et de gravats. Les spectateurs comprirent qu'un éboulement venait d'avoir lieu dans les carrières, mais ils ne purent en ce moment, se faire une idée complète du désastre.
Plusieurs personnes, parmi lesquelles le maire de la commune, se rendirent immédiatement à Périgueux pour prévenir les autorités, et, aussitôt, le général commandant la division, le préfet, les ingénieurs, des médecins, partirent pour Chancelade.

  Le spectacle qu'ils aperçurent à leur arrivée était navrant. Sur la colline, des maisons détruites, dont on ne voyait plus que les toits au niveau du sol; les bouches, les carrières obstruées par des éboulements qui fermaient sur divers points le chemin de la Beauronne; les ateliers ou maisons, aux abords des carrières, renversés. Un bloc énorme, détaché de la colline, surplombait et menaçait de s'ébouler sur la voie ferrée. Partout le chaos et l'image de la désolation; les parents des victimes erraient affolés au milieu des ruines.
Les premiers renseignements pris, on courut au plus pressé. Des ouvriers, dont on ignorait encore le nombre, étaient ensevelis dans les carrières; la nuit tombait, et la colline étant encore en mouvement, on ne pouvait rien tenter de ce côté; mais des femmes, des enfants, enterrés sous les décombres des maisons, étaient peut-être vivants encore et devaient être dégagés immédiatement.
On escaladait le coteau, sillonné de fissures qu'il fallait à chaque instant enjamber ou sauter, et on parvint au petit hameau d'Empeyraud bas, composé de six ou sept maisons dont les décombres étaient confondus. La nuit venait, on procura des torches, des lanternes, des pioches, et sur divers points on organisait le déblaiement.

  D'un amas de débris partaient des gémissements : c'était une jeune femme ensevelie avec son enfant. Heureusement le plancher de sa maison avait, en s'écroulant, formé un petit réduit dans lequel elle avait pu être préservée de l'écrasement. Après avoir enlevé les premiers décombres, on put la toucher et même la voir. Tout le monde rivalisa de zèle, et en creusant, à travers les débris, une sorte de galerie étayée, on parvint à la dégager au milieu de dangers sérieux, car à chaque instant les décombres menaçaient de s'ébouler sur les sauveteurs. Une grosse pierre, provenant du manteau de la cheminée, qui s'engageait sous les éboulis, et pesait sur les jambes de la malheureuse, paralysa longtemps les efforts des sauveteurs. Enfin, vers minuit, elle fut retirée dans un état assez satisfaisant. Elle est aujourd'hui rétablie.
Le corps de son enfant ne put être dégagé que le lendemain. Pendant que son sauvetage s'accomplissait, on retirait des ruines d'une autre maison deux cadavres, ceux d'un enfant et d'une femme âgée. Ils paraissaient avoir été étouffés, sans doute au moment même de la chute de la maison.

  Le même soir, une reconnaissance le long des carrières pût permettre d'apprécier les difficultés ou pour mieux dire, la presque impossibilité d'arriver par là aux ouvriers ensevelis.
Toutes les ouvertures étaient fissurées ou obstruées; l'une d'elles était presque entièrement remplie par les eaux que l'éboulement avait fait refluer, et on ne pouvait alors entrer qu'en bateau.


  Le lendemain fut consacré à l'exploration des carrières. Des hommes dévoués s'engagèrent à plusieurs reprises au péril de leur vie au milieu des masses rocheuses en voie d'écrasement. Ils eurent le bonheur d'en sortir sains et saufs; mais leur excursion fut inutile. En vain ils essayaient d'appeler : ils n'entendaient que le bruit de nouveaux éboulements qui se produisaient autour d'eux. Ils ne trouvaient aucun passage qui ne fût fermé par des éboulis, et rien ne leur permit d'espérer qu'on pût arriver par cette voie jusqu'aux carriers ensevelis.
Ce même jour, le père d'un de ces malheureux ouvriers, désespéré, s'engagea à son tour dans ce dédale, à la recherche de son fils. On ne l'a plus revu et on ignore sur quel point des carrières et de quelle manière il a trouvé la mort.

  Il parut dès lors impossible d'arriver par les carrières jusqu'aux ouvriers ensevelis, morts ou vivants. Au moment de la catastrophe, ils étaient occupés à creuser au fond de la carrière, une galerie d'avancement, à l'endroit du plan où est indiqué un forage.
On supposait que, surpris par l'éboulement, ils avaient pu être enfermés dans celte galerie restée intacte parce qu'elle était creusée dans le massif même de la montagne. Il aurait fallu pour cela que l'éboulement, absolument instantané pour les personnes placées à l'extérieur, n'eût été précédé, à l'intérieur, par aucun craquement précurseur de l'écrasement des piliers. Cette hypothèse est bien peu vraisemblable, et elle est contredite par l'affirmation de la veuve d'un des carriers, qui s'était engagée dans les galeries quelques instants avant la catastrophe, à la recherche de son mari. Elle distinguait déjà les voix des ouvriers, lorsqu'elle entendit le bruit sourd d'un grand éboulement. Epouvantée, elle rebroussa chemin et réussit à sortir des carrières avant la catastrophe.
Il est donc probable que les ouvriers, prévenus par ce premier mouvement, avaient quitté leur travail et cherchaient leur salut dans la fuite lorsque tout s'est éboulé. Peut être ont-ils été écrasés à quelques mètres seulement de l'entrée des carrières. Quoi qu'il en soit, on admettait alors que les ouvriers ne pouvaient exister sains et saufs que dans la galerie où ils travaillaient.

  Deux moyens se présentaient à l'esprit pour arriver jusqu'à eux. Le premier consistait à pratiquer dans la montagne soit un puits, soit un forage, afin d'arriver ainsi à la galerie d'avancement, dont un des propriétaires des carrières indiquait, sur le sol de la colline, l'emplacement probable. Nous disons probable, parce qu'il n'existait aucun plan exact des nouvelles galeries.
Mais ce puits ou ce trou de forage devait être ouvert dans des terrains rocheux extrêmement durs, coupés par des couches d'argile, d'une épaisseur de 63 mètres. Le percement devait prendre un temps considérable, et il paraissait impossible de délivrer par ce moyen les malheureux carriers.

  M. Tournaire, Inspecteur Général des Mines, envoyé à Chancelade par M. le Ministre des Travaux publics, pensa qu'en suivant l'extrême limite des exploitations, vers la gauche, on aurait une chance de rencontrer des galeries non entièrement éboulées, et de se rapprocher ainsi peu à peu du point indiqué.


Louis-Marcellin TOURNAIRE(1824-1886)

  Ce travail fut immédiatement commencé, sous sa direction. Il était hardi, dangereux même, et on fut bientôt obligé de l'interrompre, à la suite d'un éboulement qui menaça d'écraser un certain nombre de personnes, parmi lesquelles le Préfet du département en personne...

  Nous ne parlerons que pour mémoire d'une tentative faite par des carriers de Jonzac pour percer à travers la montagne, à l'aide d'un trépan, un trou de quelques centimètres, qui, dans leur opinion, devait permettre d'entrer en communication avec les carriers, s'ils existaient encore et leur faire passer quelques aliments.
Cette tentative échoua par suite d'une avarie à la tige du trépan qu'on ne put retirer et qui resta coincée dans le trou de forage...

  Une tentative plus sérieuse fut commencée le 14 novembre par un comité d'initiative privée, formé à Périgueux.
L'exécution du forage fut confiée à une des premières maisons de Paris, qui se mit immédiatement à l'œuvre, munie des engins les plus perfectionnés. Le diamètre du trou était de 0,20 m. Les travaux continuèrent très activement sans autres incidents que ceux qu'on doit s'attendre à rencontrer en pareil cas, et dont on doit toujours tenir compte dans ses prévisions.
Le 26 décembre ce forage était arrivé à 58 mètres. Le percement moyen a donc été d'environ 1,40 m par jour et l'opération aura duré, plus de six semaines.
Les journaux ont annoncé que le but du comité d'initiative était de se procurer, par le moyen du trou de forage, des photographies de la cavité, prises â la lumière électrique, afin de savoir si elle renferme les cadavres des carriers. Si le but n'est pas atteint, la tentative du comité aura toujours eu pour résultat de fournir des données assez positives sur le temps qu'il aurait fallu pour arriver jusqu'à la galerie au moyen d'un puits praticable, et pour en retirer les ouvriers morts ou vivants.

[ Les photographies ont été réalisées avec un système ingénieux, imaginé par M. Langlois, photographe à Paris. Un appareil était glissé par le trou foré, des lampes à incandescence illuminaient le fond de carrière et on actionnait l'obturateur pour réaliser un photo en tirant sur un câble. ]

Le forage
L'ingénieux appareil

  Ici se termine l'historique des tentatives faites pour délivrer ces infortunés. II nous reste à faire connaître quelques effets curieux de la catastrophe de Chancelade.   Au premier moment, la masse d'air contenue dans les galeries a été si violemment comprimée, qu'elle a produit les effets les plus variés et les plus singuliers. Un jeune enfant a été enlevé par cette sorte de trombe et jeté violemment à quelque distance dans les prés, pendant que ses parents, qui étaient en dehors de la sphère d'action de l'ouragan, étaient écrasés par des éboulis.
L'air chassé avec violence a dégagé comme une sorte de crépissage, les menus gravats provenant des carrières sur les murs d'une maison voisine. Des arbres ont été déracinés, une charrette et des poutres enlevées et transportées au loin.

  Un phénomène qui a excité la plus vive émotion s'est produit deux ou trois jours après la catastrophe.
Une fumée abondante est sortie par les fissures du terrain et même par les orifices des carrières. De nombreuses explications de ce phénomène ont été données ; aucune ne satisfait complètement l'esprit.
L'une des plus vraisemblables consiste à penser que des bougies laissées par les explorateurs ont pu mettre le feu à des amas de paille et de fumier desséchés, qui servaient dans une partie des carrières à la culture des champignons.
On a pensé dans le public que cette fumée provenait d'un feu allumé par les carriers, pour attirer l'attention sur leur situation; mais cette hypothèse parait peu vraisemblable et le résultat le plus certain de la production d'une aussi grande quantité de fumée aurait été tout d'abord de les faire périr par asphyxie.

  Beaucoup plus tard, on a vu, ou cru voir sortir de nouveau de la fumée de quelques fissures et du trou de forage. Il est permis de penser que l'air, chaud et saturé d'humidité, que contiennent les cavités restant dans les carrières, aura été expulsé, soit par un tassement du coteau, soit par suite d'un abaissement de la pression barométrique, et qu'en se mêlant à l'atmosphère extérieure plus froide, il aura développé une vapeur qu'on aura prise pour de la fumée, d'autant plus facilement qu'à la suite du premier incendie, l'atmosphère des carrières a pu conserver une odeur de brûlé.

  Les évènements de Chancelade et leurs diverses péripéties ont donné lieu, dans la presse locale et dans le public, à de violentes polémiques. Il faut savoir que le dimanche précédent la catastrophe, des carriers forcés à travailler faisaient sauter des blocs à l'explosif en préparation du jour suivant. L'effondrement s'en est suivi et c'est ce qui engendra très certainement la catastrophe.

  Les noms des victimes de ce drame se trouvent dans les actes de décès de l'église de la commune et sont consultables sur internet aux Archives Départementales de la Dordogne.

  Aujourd'hui, on ne parle plus beaucoup de la Catastrophe, des champignonnières ont été installées dans une partie des anciennes carrières. La pierre est utilisée à de rares occasions. Il y a une trentaine d'années, elle servit à la construction du plus grand télescope du monde : celui du Mont Palomar aux Etats-Unis.
De nos jours, ce sont plus les artistes qui la convoitent. Comme Giovanni Carosi, un sculpteur de Terrasson (Dordogne) qui réalisa en 1999 une statue monumentale "Aqua di pietra" à Chancelade, offrant ainsi au regard le meilleur de la pierre de Chancelade.





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