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LES P'TITES HISTOIRES
Pour les Petits et Grands N'enfants ...

LES TAILLEURS COURONNÉS par Fabien Dinan


  En l'an 287, Claudius, Nicostrate, Symphorien et Castorius sont de fameux tailleurs de pierre employés aux carrières de Pannonie. Ils ont tous en commun la faculté de réaliser des ouvrages si naturels et si fins qu'ils sont demandés pour travailler sur les constructions les plus prestigieuses.
Un compagnon nommé Simplice, qui les côtoie fréquemment sur les chantiers, remarque que depuis un certain temps ces quatre tailleurs font régulièrement un signe en forme de croix sur leur corps lorsqu'ils débutent leur ouvrage et semblent réciter quelques mots mystérieux à voix basse...
Simplice est curieux de nature et il veut connaître les vertus de cette étrange cérémonie, d'autant qu'ils réussissent parfaitement tout ce qu'ils entreprennent... Y a-t-il un rapport avec cette pratique mystérieuse ?...


  Lorsque, intrigué, il pose la question à Symphorien, ce dernier sait que Simplice pratique depuis toujours et comme la plupart des romains le culte des idoles. Alors il saisit cette occasion pour lui parler de sa propre conversion au Christianisme et tente de le convaincre de le suivre dans cette voie :
" L'idolâtrie est une erreur, tu dois découvrir la merveilleuse puissance de Jésus-Christ !... "

  Symphorien ajoute que pour lui et ses compagnons il n'existe qu'un seul Dieu et que s'il se convertit, des récompenses lui seront réservées comme à tous ceux qui sont au service du Créateur. Il lui explique aussi dans le détail le parcours de Jésus qui a racheté les hommes par la croix. Il lui dit encore que sa seule représentation est si puissante qu'on aboutit facilement, grâce elle, à la réussite de tout ce que l'on entreprend.



   Cette démonstration impressionne fortement Simplice, ces quatre compagnons semblent si rayonnants et si épanouis... Il ne met pas de temps à être convaincu et à abandonner l'adoration des idoles pour se convertir au Christianisme. Bientôt, lors d'une cérémonie qui consacre sa conversion, il reçoit le Saint Baptême.


  Pendant ce temps, à Rome, l'Empereur Dioclétien règne en Dieu vivant s'élevant au-dessus des masses de l'empire. En véritable autocrate, il impose tout un cérémonial de cour et une architecture officielle dont il est le seul décideur.
Pour son grand palais situé sur la côte dalmate, il veut une statue en porphyre d'Esculape, le Dieu romain de la médecine. Son image sera du meilleur effet et lui assurera certainement protection et force vitale.
Il envoie alors ses hommes commander cet ouvrage aux meilleurs tailleurs de pierre de Rome, Claudius, Nicostrate, Symphorien, Castorius et Simplice. Leur art est si grand qu'ils réaliseront sans aucun doute une image merveilleuse d'Esculape.

  Arrivés dans l'atelier des ouvriers, les émissaires évoquent le souhait de Dioclétien. Ils ont même apporté avec eux un modèle de l'image d'Esculape.
" Vous devrez vous en inspirer pour sculpter une œuvre grandiose, tel est le vœu de notre Empereur "
  Mais, à leur grand étonnement Claudius et Nicostrate répondent qu'ils ne peuvent pas réaliser cet ouvrage. Tandis que les autres tailleurs relèvent à peine la tête, absents ou trop concentrés sur leur travail. Et devant la stupeur des hommes de l'empereur, Claudius est obligé d'expliquer :
" Notre religion nous interdit de contribuer à l'idolâtrie et à nous rendre coupables de tous les sacrilèges que l'on commet en adorant une image. Cela n'est pas permis à des chrétiens et, puisque nous faisons profession du christianisme, l'Empereur doit comprendre que nous ne nous emploierons pas à un ouvrage aussi abominable. "
  En effet, Esculape est un dieu païen soupçonné par les chrétiens d'incarner les puissances démoniaques de la Rome antique. Il est représenté avec un bâton sur lequel s'enroule un serpent et celui-ci, fût-il médicinal, rappelle la tentation du récit de la Genèse, mais aussi le pouvoir de la vie et de la mort. Et pour les premiers chrétiens, ce pouvoir n'est donné qu'à Dieu...

  A la fois outrés et sidérés par cet affront, les émissaires repartent informer l'Empereur de la réponse qui leur a été donné. A cette annonce Dioclétien entre dans une colère noire. Comment ont-ils osé lui faire une telle offense ?... Il envoie aussitôt des hommes se saisir d'eux pour qu'ils les mènent devant le juge Lampade et qu'il leur fasse entendre raison...
Le juge, craint pour sa dureté, tente tout d'abord de les convaincre de changer de résolution. Les tailleurs de pierre sont enchaînésdans un sombre cachot, sans eau ni nourriture. Après plusieurs jours de supplice, les voyant toujours déterminés dans leur refus, il ordonne à ses hommes de les flageller à grands coups d'escourgées, des fouets garnis de pointes acérées.


  L'exécution est très cruelle; mais pendant que le sang coule des veines des cinq imagiers et que leur corps se couvre de plaies, ils défient leurs bourreaux du regard. Et entre deux salves de coups, ils réaffirment tous leur renoncement. Ils ne céderont jamais...
Dioclétien, est averti de ce qui se passe, et il est fou de rage. Voyant bien qu'il ne tirera jamais rien de ces sculpteurs, il ordonne aussitôt au préfet de Rome, Nicétius, d'en terminer avec ces maudits :
" Qu'ils soient enfermés vifs dans des cercueils de plomb et jetés ensuite dans la rivière "


La sentence est exécutée, et, par ce moyen, ces cinq Martyrs chrétiens trouvent ensemble leur mort, leur sépulture et leur couronne...
  La providence permit que 42 jours après, un Chrétien nommé Nicomède, trouve leur cercueil au fil de l'eau. Il récupéra leurs reliques et les enterra honorablement dans sa propriété. Ainsi un Nicomède avait mis au tombeau Jésus-Christ, et un autre Nicomède en faisait autant pour cinq de ses plus fidèles serviteurs.

Niche des "Quatre Saints couronnés"
(1408) par Nanni di Banco
Église d'Orsanmichele à Florence
(Cliquez pour agrandir)

  L'histoire des " Quatre Saints Couronnés " demeure mystérieuse, les sources étant contradictoires. Le seul élément certain est que ces Saints sont des Martyrs qu'on a honoré dans le passé, sans connaître leurs véritables noms (c'est pourquoi on les appelle simplement "couronnés" - de la couronne du martyre). On sait aussi qu'ils sont sculpteurs et qu'ils ont subi le martyre pour avoir refusé de sculpter des idoles.

  Par la suite, on évoque plusieurs noms de sculpteurs Martyrs. Tout d'abord on découvre quatre sculpteurs Martyrs anonymes, puis cinq autres identifiés : Claudius, Nicostrate, Symphorien, Castorius et Simplicien, présents dans notre histoire.
C'est le Pape Melchiade qui ordonne d'honorer sous les noms de ces cinq Martyrs les quatre précédents. Mais lorsqu'on découvre par la suite les noms des quatre premiers : Sévère, Séverin, Carpophore et Victorin, on ne change rien à ce qui est déjà établi.

  Ils sont fêtés le 8 novembre et sont souvent représentés avec leurs instruments ou outils de travail : Claudius avec une équerre, Nicostratus avec le compas, Castorius avec la pige et un livre ouvert, Symphorianus avec l'archipendule et un sceptre. Les Quatre Saints Couronnés, vénérés dans l'ancien compagnonnage germanique, sont les Saints Patrons de presque toutes les organisations de maçons/tailleurs de pierre en Europe, sauf en France où leur culte - cependant attesté - est resté marginal.

  Enfin, leur histoire a aussi été utilisée par la Franc-Maçonnerie qui fonde en 1884 la loge anglaise "Quatuor Coronati" (Quatre Couronnés).





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