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LES P'TITES HISTOIRES
Pour les Petits et Grands N'enfants ...

LES CHANTS DE LA PIERRE par Thierry Lacombe

  A 14 ans, comme tous les gamins de mon village, je suis allé travailler à la carrière. Pour se muscler, les premiers travaux exercés par les apprentis étaient de réaliser le découvert de carrière, c'est-à-dire le piochage et l'évacuation de la couche de terre et de rocailles qui recouvre le premier banc de pierre. L'autre travail était appelé la « fouille », il constituait à décoller les premières dalles de pierre exploitables de la couche supérieure. C'est dans ces bancs plus ou moins fracturés qu'étaient fabriqués les murs en moellons de nos maisons.

  Pour effectuer ce travail, nous étions 3 apprentis armés d'une lourde barre de fer - la pince - que nous glissions en force dans le délit naturel de la couche. En faisant levier de tout le poids de nos corps la pierre s'écartait de la masse. Ces grossières tranches étaient souvent très grandes et très lourdes. Une fois libérées, il fallait les transporter en les poussant sur des roules jusqu'aux chariots.

  Au départ, je trouvais le travail trop dur. De plus, nous étions payé à la pièce et pas bien cher... Mais, petit à petit, j'ai appris à aimer ce travail. Nous étions une équipe unie de trois costauds, et même si le fait de déplacer ces cailloux pouvait paraître anodin, cela demandait une technique bien particulière. Personne ne ménageait son effort et chaque pierre arrachée à la carrière était une petite victoire commune que nous avions l'habitude de célébrer d'une tape mutuelle dans le creux de la main.
  Il me reste des souvenirs très forts de cette période. La vision toujours unique de la surface de pierre brute devant nous. Cette pierre, vieille de plusieurs millions d'années, qui voyait la lumière du jour pour la première fois. Et plus encore, il y avait le bruit, un bruit unique de succion humide, le signal de la séparation de la pierre de la masse, ce qui était pour nous un signe de victoire ou nous redoublions nos efforts pour soulever et basculer la plaque dans un même élan.

  Aujourd'hui, j'ai grandi et appris, je suis tailleur de pierre et la pierre continue à émettre sa mélodie. Lorsque je travaille, j'écoute instinctivement le son de mes outils sur la pierre. Je suis le musicien à défaut d'être le chef d'orchestre, comme lorsque je teste la solidité d'un bloc en le frappant avec ma massette, il me révèle sa densité en sonnant comme une cloche, une matité me dit de me méfier. Le maillet qui frappe le ciseau d'un son clair, le « Poc » de la chasse qui éclate l'arête, le hurlement du chemin de fer qui rabote les reliefs, le feulement de la râpe qui use la pierre. J'aime cette musique.

  Et je suis heureux lorsque la pierre chante pour moi et que, pour m'accompagner, tout l'atelier résonne des cloches et des carillons des tailleurs de pierre.





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