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LES P'TITES HISTOIRES
Pour les Petits et Grands N'enfants ...

ZARDOZ Par Thierry DEIDOS


 
Je suis tailleur de pierre et j'aurai bientôt 53 ans

  Tout petit déjà la matière me fascinait, j'étais un tactile, caresser le bois, ramasser les copeaux dans l'atelier de mon père, les sentir, les casser en petits bouts...
Dans la cour de ma maison, mon père gardait des cailloux pour faire le béton, j'adorais grimper sur le tas pour brasser le gravier multicolore dans mes mains, j'aimais le bruit que cela faisait et la douceur de leur forme...
Et en vacances, à la plage, je passais mon temps à fabriquer des châteaux de sable ou simplement à laisser couler le sable chaud entre mes doigts, la baignade ce n'était pas mon truc...

Bon, tout cela aurait nous alerter mes parents et moi... Mais non...

  Ce n'est que vers l'âge de 15 ans qu'une évidence commença à lentement émerger dans mon esprit.
Un vieux sac de ciment durci éventré était abandonné dans un coin de la cave, cette boule informe et poussiéreuse m'évoqua tout de suite l'énorme tête volante du film Zardoz qui venait tout juste de sortir dans les salles.

  Elle était là, dans ce paquet de ciment dont la teinte et la texture m'inspiraient déjà. Mais il fallait la travailler. Alors avec pour seuls outils un ciseau à bois et un marteau empruntés à mon père, je m'attaquais à la réalisation de Zardoz...
 
  Au début, mes gestes était imprécis, maladroits, mais je ne voulais pas rater mon premier chef-d'œuvre, alors j'avançais par petites touches. L'ouvrage occupait toutes mes pensées et tous les soirs, après l'école, je reprenais les outils pour tailler... Alors, au fil du temps, mes gestes devenaient un peu moins maladroits.

  Et puis un jour, comment dire cela..., j'ai eu une sensation jusqu'alors inconnue... Tout mon corps vibrait - c'est exactement cela - mes oreilles bourdonnaient et j'étais comme dans une bulle. Comme par magie, je ne sentais plus le poids du marteau dans ma main. Quand au ciseau, il semblait obéir à tous mes désirs. Quelle sensation !... Il n'y avait plus que Zardoz et moi, j'éprouvais une joie intense et euphorique, jusqu'à rire de bonheur...

Zardoz trôna un moment dans la pelouse du jardin, avant que le gel d'un hiver ne le fasse éclater en mille et un morceaux... 
  Plus tard, à la fin du lycée, il fallut me trouver une orientation... Bof !... devant le manque d'idées, mes parents et moi décidèrent d'écouter le conseiller. Et me voilà parti pour un " BEP Mécanique et automatismes industriels "...
Deux années d'ennui profond passèrent avec tout de même un diplôme arraché de justesse. C'est ainsi que j'arrivais sur le marché du travail.

  A cette époque, les agences d'intérim croulaient sous les demandes, alors durant 5 ans j'alternais les postes en rapport, peu ou pas avec ma formation : tourneur, livreur, fraiseur et même câbleur, ... La plupart du temps dans des usines ou je côtoyais des personnes insatisfaites de leur vie professionnelle et rarement motivées. Grâce à l'intérim, je bénéficiais d'une certaine liberté, mais malgré cela, je me voyais mal embarqué dans cette voie sans passion.

Dans un petit coin de ma tête, j'avais toujours le souvenir de Zardoz et du bonheur unique que j'avais ressenti en le sculptant.

  Alors j'ai tenté..., un coup de fil au fameux Compagnons du Devoir : trop vieux et trop compliqué..., les écoles d'art parisiennes, Boule, St Lambert, et pour faire quoi ?...
Et puis, je ne sais plus comment, je m'étais inscrit sur une liste d'attente pour une formation de tailleur de pierre... Et paf ! Suite à un désistement, me voilà parti un petit matin pour la belle ville de Bordeaux. Plaquant famille et amis, j'allais découvrir un métier totalement inconnu...
 
  Bon, le changement fut brutal, voir violent... En guise d'accueil, notre professeur nous fit goûter d'entrée de jeu au plaisir du "passe-partout", cette grande scie à pierre tendre maniée à deux. Et nous voilà sur le parc, en plein cagnard, un collègue et moi sciant et sciant encore des tranches dans un gros bloc de pierre tendre... Une journée durant !...

Le soir, seul dans ma chambre, loin des miens et rompu de fatigue, je me demandais ce que je faisais là... 
C'était certain, ce métier de bagnard n'était pas fait pour moi et dès demain, j'allais annoncer au professeur mon renoncement. 
Et puis je suis resté... Et j'ai ouvert les yeux.

  Le professeur ne nous a pas remis au passe-partout et nous avons découvert l'atelier. Un bloc était posé sur chacun des chantiers et nous avons reçu nos outils aux noms si surprenants, chemins de fer, rifloirs, taillant, polka... Puis nous avons appris la façon de s'en servir, le nom des pierres et leurs provenances, Sireuil en Charente ou Chauvigny dans la Vienne. Il y avait donc des carrières encore exploitées...
Les cours d'appareillage étaient passionnants. J'apprenais à "claver une plate-bande" ou à "balancer un escalier"... Notre professeur nous initia même à la stéréotomie, l'art du "trait" en taille de pierre et lors de cours du soir je dessinais une "porte en plein cintre dans une tour ronde talutée"... rien que ça !

Quel métier !... Il y avait tant de de choses à découvrir...

  Moi qui n'avais jamais vraiment aimé l'école, j'étais insatiable, je voulais tout savoir... A l'atelier, j'apprenais à tenir mon ciseau et a ne plus sentir le poids de la massette ou celui du taillant. Et lorsque les pierres assemblées se dressaient en plein cintre, je me prenais pour un de ces "initiés", bâtisseur de cathédrale... 
  Je ne sais pas si je dois cela au talent de notre professeur ou à ma soif d'apprendre mais je sus rapidement que c'était cela que je voulais faire et rien d'autre. Tailler la pierre, cette matière vivante aux teintes d'ambre, d'ivoire ou de miel que l'on croit froide mais pourtant si chaude, au grain si doux et aux nuances et patines délicates qui se métamorphosent au fil des saisons...

  Sorti de formation, grâce à l'envie, j'ai pu évoluer dans mon métier en continuant à me former jour après jour auprès de divers employeurs, et lorsque je crus en savoir assez..., ce fut à moi de créer mon entreprise artisanale repoussant encore plus loin la passion et le défi... 

  Voilà mon histoire... Alors pourquoi je parles de tout cela ? Parce qu'aujourd'hui, j'étais dans mon atelier ou je sculptais une statue représentant Déméter, la déesse grecque des moissons. J'étais concentré sur chacun de mes gestes et rien n'existait autour de moi. Soudain, sans que je m'y attendre, mon corps à "vibré", comme lorsque j'étais ce gamin, taillant " Zardoz " dans un bloc de ciment durci... C'était sûrement grâce à lui que j'étais là...


  Cela m'a renvoyé à mon parcours et j'ai pensé à tous ces jeunes d'aujourd'hui sans travail, peut-être perdus. Il fallait que je leur délivre ce message :
  " Faites fi de tous les mauvais signes et ne baissez jamais les bras. Apprenez à découvrir et croire dans vos passions, qu'elles ressemblent à Zardoz ou pas. Et si le départ a été mauvais ou chaotique, sachez privilégier l'envie réfléchie à l'ennui et à l'abandon, avancez vers ce que vous aimez ou faites demi tour s'il le faut, pour tenter votre chance à fond et ne rien regretter. "

" S'épanouir dans son travail fait partie des grandes richesses et celle-là n'est pas matérielle "
 



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